En Italie, la question des quotas domine le débat politique
LE MONDE | 02.09.04 | 15h49

Les employeurs plaident pour un assouplissement de la loi "Bossi-Fini" adoptée en 2002. Rome de notre correspondant Il ne se passe guère de jours, depuis le début de l'été, sans que les gardes-côtes italiens interceptent, au large de la Sicile, une embarcation - de la simple barque hors d'âge au chalutier rongé par la rouille - surchargée d'hommes, de femmes et d'enfants partis des côtes libyennes ou tunisiennes vers une promesse de vie meilleure. Dimanche 29 août, un vieux chalutier de 15 mètres a accosté à Lampedusa avec 241 personnes à bord. Lundi, 160 ont débarqué au même endroit. Quatre jours plus tôt, ils étaient 275, entassés sur un rafiot à bout de souffle. La quasi-totalité de ces candidats à l'exil se déclarent palestiniens, soudanais ou irakiens dans l'espoir d'un statut de réfugié politique. Mais leurs chances de l'obtenir sont presque nulles. "Le traitement réservé à ceux qui arrivent irrégulièrement est connu : centres d'accueil, puis rapatriement", a rappelé récemment Mgr Vittorio Nozza, directeur de Caritas Italie. Le renvoi des clandestins ne prend généralement que quelques jours, le temps d'une succincte vérification du pays d'origine. Le responsable de l'ONG catholique regrette le peu de cas fait par l'Italie du droit d'asile : "Un droit qui est empêché, de facto, quand on fait en sorte que la demande d'asile ne soit pas formulée, parce qu'on ne donne pas la possibilité aux arrivants de s'expliquer et de se faire comprendre, ou bien parce que, dans l'urgence du rapatriement, on ne s'accorde pas le temps nécessaire pour un examen approfondi de la situation". De janvier à mai, la police a reconduit 46 825 personnes à la frontière. Les statistiques l'attestent : l'Italie n'a jamais accordé le droit d'asile qu'au compte-gouttes. "Notre pays n'est pas très sensible à cette notion, qui a presque disparu, à tel point que les immigrés ne demandent même plus le statut de réfugié", note Mario Marazziti, spécialiste de l'immigration à la Communauté Sant'Egidio. Au plus fort des débarquements de boat-people en provenance des pays en guerre dans les Balkans, les demandes d'asile ont atteint le chiffre de 33 364 en 1999, selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Un nombre équivalent à celui de la France (30 907), mais très inférieur à ceux de l'Allemagne (95 113) et du Royaume-Uni (91 200). Mais tandis que les demandes ont augmenté ailleurs, elles n'ont cessé de diminuer en Italie (15 564 en 2000, 9 620 en 2001, 7 281 en 2002. Il est vrai que moins de 10 % des dossiers sont finalement acceptés, après une attente très longue pendant laquelle, souvent, le demandeur est parti tenter sa chance dans un autre pays d'Europe. Outre celles de Caritas et de Sant'Egidio - les deux organisations les plus impliquées dans l'accueil des immigrés -, de nombreuses voix se sont élevées, pendant l'été, pour que l'Italie se dote d'une loi organique sur le droit d'asile alors que, pour l'instant, il n'est évoqué qu'au détour d'un article de la loi dite "Bossi-Fini" sur l'immigration. Cette législation, adoptée en 2002, a durci une précédente loi, déjà assez restrictive, votée en 1998 par la majorité de centre-gauche. De nombreuses personnalités, y compris du centre et de droite, se sont exprimées ces dernières semaines pour réclamer un assouplissement de certaines dispositions, telles que l'allongement du permis de séjour de un à deux ans. Rocco Buttiglione, ancien ministre (centriste) du gouvernement Berlusconi et prochain commissaire européen chargé des questions d'immigration, a évoqué l'idée "d'étendre le droit d'asile aux motifs économiques et non plus seulement politiques". Le ministère de l'intérieur prépare un projet de loi sur le droit d'asile qui pourrait être présenté en conseil des ministres dès vendredi 3 septembre. Le nombre de commissions d'examen des dossiers passerait de 1 à 7 et, pour éviter les reproches de la Cour constitutionnelle, la questure aurait quarante-huit heures pour soumettre l'avis d'expulsion au tribunal, le juge ayant lui-même quarante-huit heures pour statuer et motiver sa décision. Le texte prévoit la présence d'un avocat et la possibilité d'un recours en cassation en cas d'expulsion. Enfin, le projet de loi prévoit la création, "sur la base d'accords bilatéraux" de centres de rétention hors d'Italie. Mais au-delà du droit d'asile, c'est sur la question des quotas, fixés chaque année par un décret du président du conseil italien, que s'est concentré le débat politique cet été, dans un pays où l'immigration reste un phénomène lié à l'emploi. Pour 2004, le chiffre maximal des entrées a été fixé à 79 500 travailleurs. Un plafond jugé trop bas par Luca di Montezemolo, le "patron des patrons" italiens, qui s'est fait l'écho de nombreux industriels du nord de l'Italie et des secteurs qui ont besoin de main-d'œuvre saisonnière, comme l'agroalimentaire ou le tourisme. Le ministre chargé des rapports avec le Parlement, Carlo Giovanardi, a estimé nécessaire de "repenser" la notion de quotas contenue dans la loi Bossi-Fini. Un texte qui, selon Silvio Berlusconi lui-même, devra être "renforcé et affiné".
Jean-Jacques Bozonnet