Berlusconi, porte-parole européen de Kadhafi
Le chef de gouvernement italien demande à l'UE la levée des sanctions contre la Libye.
Eric JOZSEF, 22.09.2004
(Liberation)

Rome de notre correspondant ous la pression d'arrivées massives d'immigrés clandestins sur l'île de Lampedusa, au sud de la Sicile, le gouvernement Berlusconi a décidé de se faire l'avocat du colonel Kadhafi. A l'occasion de la réunion aujourd'hui à Bruxelles du Coreper, qui regroupe les représentants des vingt-cinq pays membres de l'Union européenne, les autorités italiennes ont en effet annoncé qu'elles demanderaient la levée des sanctions contre Tripoli. Vendredi, le ministre de l'Intérieur italien, Giuseppe Pisanu, a même menacé de violer l'embargo contre la Libye si les partenaires européens ne donnaient pas le feu vert pour la fourniture au colonel Kadhafi de matériel militaire destiné au contrôle de ses côtes : viseurs optiques nocturnes, hélicoptères, Jeep et nouveaux radars. «Si nous ne parvenons pas à convaincre l'Europe, l'Italie contournera l'interdit», a insisté le ministre. Alors que l'été a été marqué par le débarquement de milliers de clandestins sur les plages italiennes, le gouvernement Berlusconi ­ qui avait fait de la lutte contre l'immigration l'un des points cardinaux de son programme électoral ­ multiplie les initiatives pour freiner les arrivées en provenance de Libye. Et cela, alors qu'à proximité de la frontière avec la Tunisie des centaines de milliers de personnes, venues de toute l'Afrique, s'entassent en attendant de pouvoir traverser le canal de Sicile. «Centres d'accueil». Fin août, Berlusconi avait même interrompu ses vacances en Sardaigne pour rendre visite à Kadhafi, à Syrte, et entériner l'accord de coopération sur les flux migratoires conclu quelques jours plus tôt entre le préfet Alessandro Pansa, responsable italien des affaires d'immigration, et le ministre de l'Intérieur libyen. Le texte prévoit, entre autres, l'institution de patrouilles mixtes, navales, aériennes et terrestres en Libye, ainsi qu'un programme d'entraînement des forces de police locales. Rome, avec le soutien du ministre de l'Intérieur allemand, Otto Schily, envisagerait également d'ouvrir des «centres d'accueil» des clandestins directement en Afrique du Nord, et notamment en Libye. Mais les autorités de Tripoli souhaitent avant tout obtenir la fourniture de matériel militaire et exigent, en conséquence, la levée de l'embargo sur les armes décidé par l'UE en 1986, à la suite d'attentats terroristes. «Sans la levée des sanctions, nous ne pouvons rien faire pour contrôler les clandestins sur nos côtes», soutient Nasser el-Mabruk, le ministre de l'Intérieur libyen. Depuis des mois, l'Italie s'est engagée à plaider la cause de la Libye, d'autant que le colonel Kadhafi a été réadmis sur la scène internationale après avoir notamment livré les deux responsables présumés de l'attentat de Lockerbie et renoncé à se doter d'armes de destruction massive. Mais Tripoli s'impatiente et ouvre, ponctuellement, le robinet de l'immigration pour faire pression sur l'UE à travers l'Italie. «Invasion». Début septembre, trois bateaux transportant 800 clandestins ont été arraisonnés, en quelques heures, à l'approche de Lampedusa. «C'est une véritable invasion !» a immédiatement tonné la xénophobe Ligue du Nord. Face à ce nouvel afflux, le ministère des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur libyen, et le représentant italien à Tripoli a reçu l'instruction d'effectuer une démarche officielle auprès du gouvernement libyen, pour solliciter sa pleine collaboration dans le cadre des accords signés. Surtout, Rome a décidé de faire le forcing auprès de Bruxelles. Le gouvernement Berlusconi espère notamment que la levée des sanctions commerciales contre Tripoli, décidée lundi soir par les Etats-Unis, permettra de vaincre les réticences des pays (Suède, Finlande et Danemark en tête) qui ont exprimé des réserves sur le respect des droits de l'homme en Libye.