A Tripoli, Berlusconi croit enrayer l'immigration Reçu par Kadhafi, il insiste pour ouvrir des «centres d'accueil» en Libye.
Eric JOZSEF
Jeudi 26 août 2004

Rome de notre correspondant es débarquements d'immigrés clandestins se multiplient à Lampedusa, l'île au sud de la Sicile qui fait figure de porte méridionale de l'Europe, aussi Silvio Berlusconi a-t-il interrompu hier ses vacances en Sardaigne pour se rendre à Tripoli. Ce bref voyage de l'autre côté de la Méditerranée a permis au chef du gouvernement italien de s'entretenir une nouvelle fois avec le leader libyen Mouammar Kadhafi de la lutte de l'immigration clandestine. Depuis le 1er juillet, plus de 1 500 clandestins sont en effet parvenus à rejoindre les côtes de Lampedusa. Vingt-huit immigrés n'ont pas eu cette chance, et ont péri le 8 août dernier dans le canal de Sicile. Dans la nuit de lundi à mardi, les garde-côtes ont encore arraisonné au large de l'île une barque d'à peine vingt mètres de long où s'entassaient un nombre record de 275 personnes. Selon les premiers éléments de l'enquête, ils seraient partis de Libye, qui depuis quelques années constitue une plaque tournante de l'immigration clandestine. «Pétrole et clandestins». En octobre dernier, le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdelrahmane Chalgham, avait lui-même parlé d'«invasion» et avancé le chiffre de deux millions de personnes présentes sur son territoire en provenance d'Afrique subsaharienne. Au nom de la politique «panafricaine» prônée par le colonel Kadhafi, la Libye n'exige en effet pas de visas pour les citoyens des pays africains. Mais Tripoli sait aussi tirer parti de l'immigration dans les négociations internationales. «Pétrole et clandestins sont aujourd'hui les deux instruments préférés de la politique de Kadhafi en direction de l'Italie», rappelait il y a quelques mois l'historien et ancien ambassadeur Sergio Romano, au lendemain d'une nouvelle vague de débarquements à Lampedusa. En clair, faute d'obtenir suffisamment d'aide, et notamment la levée des dernières sanctions lui interdisant, depuis l'attentat de Lockerbie, l'achat de radars et matériels militaires, la Libye fermerait de temps en temps les yeux sur les départs d'embarcations en direction de l'Italie. Au cours de son dîner dans la tente du colonel Kadhafi à Syrte, Silvio Berlusconi, qui, avec ses alliés de la Ligue du Nord, a fait de la lutte contre l'immigration clandestine l'une de ses priorités, devrait à nouveau s'engager à plaider la cause libyenne à l'étranger. Le chef du gouvernement italien pourrait également répondre favorablement à la demande du colonel Kadhafi d'aider au financement d'une autoroute de 2 000 kilomètres traversant le pays, de l'Egypte à la Tunisie. En échange, Silvio Berlusconi entend finaliser l'accord ébauché l'an dernier entre les deux pays. Des patrouilles mixtes italo-libyennes, navales, aériennes et terrestres, devraient être mises en place pour surveiller, dès la mi-septembre, les 2 000 kilomètres de côtes et les 4 000 kilomètres de frontières internes de la Libye. Tentes et préfabriqués. Mais ces contrôles conjoints supposent la livraison de vedettes, Jeep, radars, hélicoptères, toujours frappés d'embargo. L'entente avec la Libye pourrait également être le prélude à une nouvelle phase dans la politique de l'UE en matière d'immigration, avec l'ouverture de «guichets européens» pour recueillir sur place les demandes d'asile politique et d'immigration légale des étrangers. Récemment, le ministre de l'Intérieur Giuseppe Pisanu et son collègue allemand Otto Schily ont en effet évoqué l'hypothèse d'installer de véritables «centres d'accueil temporaires» dans les pays nord-africains. Berlusconi souhaiterait obtenir l'ouverture de tels camps de réfugiés en Libye, et des tentes et des préfabriqués devraient être livrés d'ici à octobre, selon le quotidien la Stampa. Pour le leader de Forza Italia, un accord sur le front libyen constituerait un motif de grande satisfaction, étant donné que sa majorité est fortement divisée sur la question de l'immigration. Alors que la Cour constitutionnelle a jugé illégales deux mesures (concernant l'expulsion et les conditions d'emprisonnement des clandestins) de la nouvelle loi sur l'immigration, plus restrictive, adoptée il y a deux ans, ses alliés centristes plaident pour un assouplissement de la loi. A l'inverse, la Ligue du Nord d'Umberto Bossi continue de prôner la fermeté. http://www.liberation.fr